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Bruno Albert Le blog
19 mai 2014

LUTTE(S) DE CLASSE(S)

Couv_Conclave2

Dans la dernière partie de sa vie, le grand Stendhal ayant goûté Milan, Rome et Venise, se perdit dans la ville relative de Lesparre en Médoc. Désignant la direction du nord de la région, il avait demandé à l’hôtelier qui l’avait hébergé : « Et après ? » et l’homme répondit avec beaucoup de sincérité : « Après ? Rien ». Avec « Un Souper en Médoc », Bruno Albert, romancier, à deux siècles de distance, avait souhaité restaurer l’image d’un Bas Médoc magnifiquissime ! A ses yeux. A son cœur. A sa tripe.

Voici « Le Conclave de Bordeaux », toujours aux Editions Féret, deuxième roman du même auteur. Aux origines, il y avait eu un dîner faussement mondain, au milieu des vignes surplombant l’Estuaire de la Gironde, prétexte à l’introduction et à la présentation du Médoc en général et de quelques personnages du cru en particulier. Pour l’auteur, ils devaient figurer la cohorte pionnière de celles et ceux qui inventèrent Soulac sur mer, station balnéaire équivoque. Tiraillée entre une âme sauvage et une réflexion bien plus cartésienne consistant à vivre dignement dans un pays béni mais éternellement puni du fait de son essence estuarienne.

« Le Conclave de Bordeaux » réunit les mêmes personnages, les mêmes paysages, les mêmes considérations quant au vin de Médoc. Autant « Le Souper » s’était attardé sur le caractère adulescent, fortuit et anxiogène de la Deuxième République, autant, aujourd’hui « Le Conclave » informe de ce que le Second Empire a ouvert une ère pacifique, moderniste du point de vue économique et sensiblement distributrice du point de vue social. Ainsi, malgré les critiques folles de Napoléon III, après la folie de Sedan, on a pris, entre autres à la suite des biographies de Pierre Milza et Philippe Séguin, le parti inverse, considérant la séquence néo-impériale en termes positifs. Ici, Bruno Albert, notre auteur expose des similitudes entre le Second Empire et la première séance du gaullisme politique de 1958. Cent ans après !

Voici une des façons de lire « le Conclave de Bordeaux » comme une déclinaison souple du Second Empire en Gironde. Or, en grattant un peu le vernis du temps, on observera également que la période, paradoxalement industrieuse et oisive, a semé les graines des mutations sociétales à venir. De ce point de vue, Bruno Albert a conservé la même plume allègre pour évoquer des sujets fort sérieux par ailleurs. Ainsi, tout y passe : le romantisme fort directif des femmes. Elles se veulent un destin par elles-mêmes. Et elles l’obtiendront. Le triomphe -ou quasi- de la bureaucratie d’Etat. Entre Chambre de Commerce et préfecture, la bagarre est torride. Les prémices de la colonisation ultra-marine moderne. La structuration industrielle et capitalistique inéluctable de l’économie, ici, ultra-sensible dans le domaine viti-vinicole etc.

Après un dialogue de fond au-sein du couple que forment Bérénice et Jérôme de Lignac, l’épouse va circonvenir l’époux jusqu’à armer une croisière fluviale du Nord Médoc en Sud Gironde. « Mais, il y a du vin partout ! » va-t-elle s’émouvoir. Du haut du promontoire catholique et marial de Verdelais, elle envisagera Sauternes perlée d’or. De retour en Médoc, la maternité puis un événement des plus horribles qu’il soit pour une jeune femme forgeront un nouveau profil féminin. Apte à saisir davantage les subtilités d’un monde complexe au point d’en devenir une redoutable amazone. Il y aura des rencontres, des fêtes, des amours et des vins.

Un mot sur le titre de l’ouvrage : « Le Conclave de Bordeaux » n’a rien à voir avec une quelconque procédure élective romaine mais, tout de même, restitue ce que l’auteur nomme « l’esprit de Viterbe » du nom de la localité italienne. Au XIII° siècle, Viterbe fut le théâtre de la désignation pontificale la plus longue de l’histoire. Le peuple et les bourgeois du lieu, lassés de voir les cardinaux se goberger à leurs frais, usèrent de toutes sortes de stratagème pour accélérer le terme de leur séjour dans la ville : ils démontèrent la toiture de la cathédrale Sans Lorenzo, ils réduisirent leurs envahissantes éminences au pain sec et à l’eau pour, in fine, fermer toutes les issues à clé. D’où conclave.

« Je me suis demandé, accessoirement, si le monde viti-vinicole bordelais n’avait pas été, à la marge, pénétré de cet esprit de Viterbe, à l’approche de l’exposition universelle de 1855 et son corollaire, totalement imprévu à l’origine, le classement des vins ? » s’interroge Bruno Albert. Le fameux classement, loin d’être le motif profond de ce nouveau roman, tombera tout de même à point nommé pour embarquer le Bordelais vers une structuration productive et marchande qui n’a pas foncièrement changé depuis.

L’auteur achève sur une confession brûlante : « Lorsqu’il s’est agi de baptiser l’enfant -le livre-, j’ai investigué différentes pistes dans l’objet de flatter Bordeaux, moquer les non-classés, railler les plus grands etc. Ne serait-ce qu’allusivement. Et puis, à bout de forces, j’ai déliré au point de proposer quelque chose comme « Une Lutte de Classes ». Cela me paraissait délicieusement équivoque mais, aux cris de douleurs de l’entourage, j’ai accouché de ce charmant Conclave de Bordeaux. Moins évident mais tellement politiquement correct.

On peut appréhender « Le Conclave de Bordeaux » sans avoir connu « Un Souper en Médoc » mais il faut savoir que leur synchronisme s’avère instructif et agréable. 

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